Chantier DRAC/SRA AUVERGNE-RHÔNE-ALPES
OPERATION ARCHEOLOGIQUE N° 03-8784 DU 02 juin 2020
Situation de la zone d’opération 2020
La recherche de cette année est motivée par le projet de construction d’un deuxième pont à Moulins, dont les piles et enrochements modifieront le cours de la rivière.
Les conditions de prospection à la fin du mois de juin, avec encore 70 m3/seconde, sont encore difficiles et rendent plusieurs zones inaccessibles, obligeant à revenir sur sites à l’occasion de conditions plus favorables.
Qu’est ce qu’un bâton de marinier ?
Appelé aussi bâton de quartier ou bâton de chaland. Utilisés sur les grande sapinières ou les grandes toues, ils sont en usages jusqu’au XIXème siècle. Dans la douille, on emmanchait un bâton de 3 à 6 m de long. Il servait spécifiquement à la manoeuvre, le fer étant piqué dans l’obstacle ou dans le banc de sable à éviter et coincé dans un des arronçoirs, planches épaisses taillées en dents de scie et solidement fixées sur les membrures du bateau. La manoeuvre permettait de faire pivoter le bateau. Ces bâtons étaient notés dans les inventaires des bateaux et tous marqués afin que les mariniers ne les abandonnent pas en cas de casse du bateau, laissant en rivière une pointe dangereuse pour les autres bateaux. (Poirier P. Les heures de gloire de la marine de Loire, éd. Corsaire, Orléans, 2003 P. 16-17).
Un bel alignement de bois a été repéré à Avermes lors de la prospection. Nous sommes revenus sur la zone, difficilement accessible pour l’aller et le retour. Heureusement de bonnes âmes nous ont prêté deux brouettes pour remonter le lourd matériel de plongée et de sécurité le long d’un bien long chemin… Les plongées ont montré qu’il s’agissait de bois flottés dont les branches formaient un alignement naturel. Il faut parfois fermer des portes !
Attention zone sensible !
L’aval du Pont Regemortes est une zone de nidification des Sternes Pierregarin. L’accès des îles est interdit et protégé par un arrêté préfectoral du 26 mai 2010. Nous avons pu observer le ballet de ces oiseaux, surnommés les hirondelles de mer, plongeant dans la rivière pour pêcher des petits poissons et les amener à leurs poussins sur l’île principale. Leurs oeufs sont déposés à même les galets et se confondent avec le milieu. La crue de juin a hélas emporté de nombreux nids et poussins. Pour en savoir plus : LPO auvergne
La traversée de l’Allier :
La traversée de l’Allier :
Celle-ci n’est pas connue avant le Moyen-Age. Seul le toponyme de « Gateau » qui se situe sur les cartes les plus anciennes du XVIIIème siècle à l’aval du futur pont, apporte une indication de « gué de l’eau ». Sachant que la rivière a une zone d’inondation de près d’un km de large dans la zone, les passages antérieurs au Moyen-Age peuvent avoir été remaniés sur un espace important.
Le document le plus ancien mentionnant un pont à Moulins est un acte du duc Louis II de Bourbon, du 30 novembre 1408, ordonnant de « refaire les pons d’Alier coste la dite ville, qui ont esté pour la greigneur partie rompuz, démoliz et abatus par les grans glaces et affluences d’eaues qui ont eu cours l’iver derrenièrement passé » (1) Le texte mentionne plusieurs ponts semble impliquer, comme c’est souvent le cas, un pont en plusieurs parties, passant probablement d’île en île.
Treize ponts se seraient succédés sur la zone en aval du Pont Regemortes actuel, le premier se serait appelé Pont Mâcheclou, détruit en 1426. En 1435, il s’appellerait Pont Buffecier et est réparé en 1446. Tous ces ponts sont en bois. Un pont en pierre est en construction en 1499, détruit, un deuxième est bâti en 1536. En 1565, un pont en bois est construit, mais il peut s’agir d’une réparation en bois sur des arches détruites d’un pont de pierre, procédé très courant en France comme ailleurs.
Des réparations au Pont de Moulins sont ordonnées en 1579, une reconstruction en 1595, réparé en 1601 et 1604 et emporté par la rivière en 1608. En 1609, une adjudication est faite pour la construction d’un pont en bois. En 1630, un pont de pierre est reconstruit, qui s’effondre en 1645. Un nouveau pont de bois est reconstruit en 1646. Il s’écroule en 1676. (2)
Dés lors, le « problème » du Pont de Moulins va prendre une autre ampleur, avec la décision de contruire un pont pérenne. Le Pont Ginguet est construit de 1678 à 1682. Hélas, en 1683, une pile et ses arches sont emportées. Reconstruit en 1686, il s’écroule à nouveau en 1689. En 1703, une réparation en bois court sur les arches tombées mais elle ne passe pas l’année. La décision est prise de reconstruire un autre pont sous les ordres de l’architecte de Louis XIV, Mansard, à partir de 1705, mais il s’écroule avant son achèvement en 1710. En 1712, l’architecte Bruant reconstruit un pont en charpente. C’est l’ingéniosité de l’architecte Louis Régemortes, qui conçu un pont dont les fondations reposent sur des berceaux protégés par des radiers, qui permit à Moulins de conserver le pont qui s’y trouve encore, construit de 1753 à 1763. Les travaux seront de très grande ampleur avec le déplacement du lit vers l’ouest, détruisant une partie du faubourg outre pont de la Madeleine et un élargissement du lit afin de lutter contre l’effet entonnoir qui ravinait les piles. (3)
La zone sensible des ponts s’étend à l’aval du Pont Régemortes, sur une portion sud-nord de 100 à 150 m. Des travaux ont été nécessaires en 1980, pour contrer l’enfoncement du lit de la rivière, dû aux extractions importantes de sables en aval. Des palplanches métalliques ont été enfoncées en aval du pont dans le lit de l’Allier, pour maintenir le niveau d’eau. Ces travaux ont été archéologiquement très invasifs et un grand nombre de pieux des précédents ponts ont été arrchés. (4)
Plusieurs pieux munis de leurs sabots ont été recueillis, mais sans leur situation et conservés aujourd’hui au Musée du Bâtiment de Moulins. Marc Guyon qui a réalisé sa thèse sur les sabots de pieux, signale d’autres travaux d’arasement en 1997, qui ont encore arraché d’autres structures (Pont Ginguet) et remarque que « Si ce site est de toute évidence, un trésor en matière d’archéologie du pont, par le fait d’un telle concentration de vestiges, il serait souhaitable de le voir classé comme patrimoine archéologique pour enfin le voir protégé de tous les travaux à venir qui ne manqueront pas de le grignoter à chaque fois un peu plus. Il faut tout de même rappeler que le Pont Régemortesest classé monument historique, mais apparemment ni ses fondations ni son site…. » (5)
(1) Arch. Mun. Moulins in Troubat (O.), La Guerre de Cent Ans et le prince-chevalier, t.II, p. 608-609 note 11, documents complémentaires sur cet épisode climatique, Montluçon 2003.
(2) Mitton (F.), Les vieux ponts de Moulins, in Bull. Sté. Emul. Bourbonnais, T. 34, 1931.
(3) Mitton, ibid. Régemortes (L. de), Description du nouveau pont de pierre, construit sur la rivière Allier à Moulins, avec l’exposé des motifs qui ont déterminé son emplacement, et les dessins et détails relatifs à la construction, 1771.
(4) Pommeau (Ch.), A propos des ponts de Moulins, in Bull. Sté Emul. Bourbonnais, 1981 et 1984. Nouvelles découvertes sur le site des anciens ponts de Moulins, Les sabots de pilots des ponts de Moulins et les sites à pilots du département de l’Allier, in BSEB 1984.
(5) Guyon (M.), Les fondations des ponts de Frannce. Sabots métalliques des pieux de fondation, de l’Antiquité à l’époque moderne. Ed. Monique Mergoil, Montagnac, 2000, P. 38-39, avec des photos de 1995 des vestiges des ponts Ginguet et Mansard.
La situation et le mode de construction évoquent le Pont Ginguet du XVIIe siècle. Par contre, les pieux sont nombreux et pourraient appartenir à ce pont ou à un des ponts précédents, le passage s’étant pérennisé dans la zone. Les datations permettront de préciser la chronologie des constructions.
PROSPECTION DU 26 JUILLET :
Enfin, un Allier raisonnable pour les archéologues: une eau parfaitement limpide, un débit à 25m3/seconde. L’idéal que nous n’avions pas rencontré les semaines précédentes. Du coup, nous avons refait une zone que nous n’avions pu voir que partiellement en juin, à cause du trop gros débit, sur les communes de Moulins, partie de Neuvy et jusqu’à Avermes.
Même constat qu’un mois plus tôt : encore des bois flottés provenant des ponts et constructions des ponts successifs de Moulins. Malgré les excellentes conditions, les découvertes n’ont pas été au rendez-vous, sinon celle d’une zone parsemée sur une bande nord-sud de 5 m de large sur 20 m de long, de brique non estampillées (XVIIIe siècle ou avant).
Riche en argile et en bois, le Bourbonnais avait, sous l’ancien régime et jusqu’au XIXe une activité importante de briqueteries et tuileries et exportait ces pondérables vers l’aval sur l’Allier puis la Loire. La zone ne comporte pas de remblais et il pourrait s’agir d’une perte de cargaison ou d’un naufrage. Il sera utile d’observer l’évolution des bancs de sables dans l’avenir afin de détecter d’éventuels vestiges.
Sortie du 02 août 2020 :
Après une semaine caniculaire, le débit de l’Allier est descendu dans la semaine à Moulins à 19 m3/seconde. Malgré quelques orages en amont les deux jours précédents, il n’est remonté ce jour-là qu’à 25 m3 . Les conditions sont encore optimales en courant et en clarté de l’eau, pour compléter les prospections de juin qui avaient souffert des crues.
La mise à l’eau s’est faite d’Avermes, vers le centre-bourg et la sortie aux Coqueteaux à Montilly.
Le fond est généralement sableux et très mobile, les graviers s’accumulent sur les bancs à l’occasion des crues, ou sont remis en mouvement au gré des déplacement de l’Allier. Beaucoup d’enrochements longs ou plus courts sous formes d’épis sont contournés par la rivière.